À quelques jours de l’anniversaire de la mort de Philip K. Dick, Arte, par l’intermédiaire d’un programme spécial composé également d’un excellent docu et d’un film en VR, diffuse un jeu basé sur l’univers de l’écrivain, Californium. Pour tout amoureux de SF métaphysique, dystopique et visionnaire, cette proposition dilate la pupille. Malheureusement, l’oeil capte ainsi bien davantage tous les problèmes qui s’affichent devant lui.
L’idée derrière Californium est de donner un nouvel espace d’expression à l’imaginaire Dickien – de saisir la vision récurrente des romans de l’écrivain, pour en faire une expérience interactive questionnant le principe de réalité. Dans les grandes lignes, le joueur incarne Elvin Green, un écrivain de SF pas franchement sur la piste du succès, que sa femme vient de quitter main dans la main avec son gosse. Le parallèle avec K.Dick est évident, tout comme les causes qui ont poussé ses proches au départ : l’angoisse, la drogue et l’enfermement. Se délectant sans problème d’un destin bien foireux, le futur ne va pas arranger les choses, Elvin commençant à s’enfoncer dans la découverte de mondes parallèles, de percées dans l’espace-temps, guidé par une voix étrange. Si les pistes de compréhension peuvent couvrir un large spectre, de la psychanalyse au délire, jusqu’à l’expérimentation réelle de ces fenêtres vers un accès à la conscience universelle, comme les décrit K. Dick, le jeu ne donne pas de réponse claire.
Un excellent choix qui correspond en tout point à la démarche de l’auteur qui englobe de brume un bon nombre de ses récits, contextualisés mais pas forcément explicités. D’autant que cet aspect nébuleux va dans le sens d’un certain malaise face à un héros muet, qui se laisse pénétrer par l’énigmatique sans aucune réaction, terreau vierge au récit. Bardé de clins d’oeil à l’œuvre de Dick, reprenant des personnages existants, des termes, des morceaux d’histoires, certaines obsessions, et soulevant un immense pan du Yi-Jing dans la dernière heure ; tape dans le dos aux amateurs du Maître du Haut Château, Californium est respectueux à l’extrême. À un tel point qu’il en oublie d’exister lui-même. Œuvre regardant d’en bas le monument dont elle traite, Californium accumule les connaissances, détourne les lubies de K. Dick afin de tisser une toile sur laquelle elle se laisse prendre. À être trop proche du sujet, le jeu ne prend jamais assez de recul pour comprendre qu’il devrait chercher en premier lieu comment raconter une histoire et non la composer.
Elvin Green n’est pas une seule seconde attachant, ou énervant, il est une coquille vide dans laquelle le joueur ne rentre jamais. Le départ de sa femme, les échos de sa fille, rien ne parvient à susciter une émotion, tout simplement parce que ce personnage est juste un rail de caméra. Il est cet objectif que l’on trimballe dans des univers à la direction artistique originale et réussie, comme un touriste. De nombreux jeux choisissent un avatar sans voix afin de favoriser l’immersion, mais lui construisent un background, ou du moins permettent au joueur de lui en fonder un, afin de ne pas le laisser flotter dans le néant. Ici, il est quasiment impossible de se sentir impliqué à un seul moment. Californium devient alors un produit ludo-éducatif à la Cryo de la belle époque que les parents achetaient pour se donner bonne conscience, gamme qui comportait déjà Ubik. Hautement cocasse. La désincarnation n’est pas le seul écueil qui empêche de s’impliquer dans le jeu, l’absence d’un gameplay solide n’aidant pas beaucoup non plus. À la différence d’un point’n click lambda, ou d’une frange nouvelle qui est nommée « simulateur de balade » où les interactions sont certes limitées mais au minimum variées, Californium ne repose que sur un seul gimmick, à savoir ouvrir des portails. Symbolisés par une sorte de rune étrange, ces derniers demandent dans la majorité des cas de se placer à un endroit particulier pour apercevoir un « bug » dans le décor et ainsi ouvrir une vue sur un autre monde.
L’effet est malin, bien rendu, d’autant que chaque univers affiche un code couleur propre, mais la répétition de cette action devient vite tellement anodine qu’elle perd toute source de fascination. En quelques minutes, Californium passe d’un potentiel jeu d’aventure sympathique à un ersatz de logiciel dans lequel le but est de trouver des objets perdus dans le décor. L’avancée se subit plus qu’elle ne se déclenche et les rares avancées scénaristiques qui découlent de la résolution, et c’est un bien grand mot, se révèlent téléphonées. Si la dernière heure sort d’une torpeur dangereuse, la narration n’évolue jamais, le rythme ne se modifie à aucun moment, le tout ressemblant à une attraction d’un hypothétique et improbable parc Philip K. Dick. Pourtant, l’univers est là, le contexte fonctionne, l’enrobage également, mais habiller un hommage d’un contrôle possible par un spectateur ne fait pas un bon jeu vidéo. Californium est un medley passionné, issu d’un ensemble culturel maîtrisé par ses concepteurs et venant d’un véritable amour de l’écrivain, mais à ce compte-là, autant encore une fois se plonger dans l’excellent documentaire d’Arte, dans une biographie, ou simplement dans le cerveau aussi fou que foisonnant de génie de Dick en lisant ses bouquins.
- Développeur : Neko Entertainment
- Éditeur : Arte Creative
- Genre : Point'n Click
- Date de sortie : 16 février 2016
- Supports : PC, Mac
- Site officiel : http://californium.arte.tv/fr/#/
- Dans sa forme payante, Californium n'a pas grand chose d’attrayant. Manquant de rythme, ne proposant quasiment aucune interaction, il se contente de compiler du Philip K.Dick dans une histoire originale. La forme est séduisante, autant musicalement que dans l'inventivité graphique, mais n'est qu'un réceptacle joliment décoré à un sérieux manque d'intérêt. Une aventure très courte, bien trop pauvre et désincarnée qui agit plus comme un hommage passionné mais ennuyeux que comme un moyen de découvrir l'auteur. Sous sa version épisodique gratuite, personne ne vous en voudra de jeter un œil par curiosité, il est toujours bon de se faire un fixe de K. Dick, mais sa littérature est suffisamment abondante pour vous y plonger bien davantage. Reste que l'initiative est une excellente idée.
5 commentaires
Bruno
22 février 2016 à 21 h 28 minSi on apprécie les jeux qui d’après beaucoup n’en sont pas. Dear Esther, The Stanley Parable, The Beginner’s Guide, Proteus on peut y songer ou l’on s’abstient quand même ?
Killy
22 février 2016 à 23 h 03 minBonjour,
Pour les avoir quasiment tous fait (sauf Proteus), ainsi que Ethan Carter, Firewatch ainsi que Gone Home, je trouve que Californium est très loin derrière. J’ai beaucoup aimé Firewatch par exemple parce que les personnages sont attachants, les dialogues parfaitement écrits. Et même si je trouve Gone Home beaucoup trop prétentieux, il a au moins le mérite de proposer une narration intéressante. Moins désormais, mais il a testé en partie une certaine manière d’approcher une histoire. Le problème ici, c’est qu’il n’a rien à “chercher”, seuls quelques symboles qui ne masquent rien, ne recèlent rien, il suffit de les collecter en un sens. De même, les dialogues restent pauvre et l’histoire, malgré une excellente idée, très pauvre. Pour te/vous donner une idée, je pense encore souvent à The Stanley Parable ou Ethan Carter, même si je le trouve un peu trop juste. Mais ces jeux parlent de quelque chose, dialoguent avec le joueur, ne restent pas froids comme Californium.
Bruno
23 février 2016 à 7 h 37 minMerci pour les précisions. Je vais passer mon tour du coup. C’est marrant parce que dans un autre genre, j’ai ressenti beaucoup de froideur dans le jeu de plateforme Type:Rider. C’était esthétique, “intelligent” mais les niveaux étaient pas fous au final. Mais je ne voudrai pas décourager Arte dans leur démarche. ^^
Je n’ai pas aimé Gone Home, je ne l’ai pas cité pour ça, le trip 90’s c’était une idée sympa mais j’ai pas connu les 90’s de la demoiselle à part dans les séries US “bof-bof” de l’époque.
Killy
22 février 2016 à 23 h 05 minOups petite faute, je voulais dire que l’histoire était très faible (pas pauvre).
Garrett
23 février 2016 à 11 h 38 minBruno -> Californium est disponible gratuitement à télécharger épisode par épisode sur le site d’Arte, ici : http://californium.arte.tv/fr/?gclid=CMzcguzXjcsCFWcq0wodpyMIIA#/?xtor=AD-31-%5Bsearch_2016%5D-%5BCalifornium%5D-%5Bannonce%5D-%5BGoogle%5D-%5BGT%5D-%5B%5D
Ça vaut le coup de se faire sa propre idée à ce “prix” là même si le test de Killy est très pertinent.