Après deux excursions dans la noirceur la plus totale (The Walking Dead, puis The Wolf among Us), Telltale revient à ses premières amours : la comédie, en adaptant à sa sauce l’univers barré de Borderlands. Le choix paraît curieux, mais traduit en réalité de lourds enjeux pour le studio puisqu’il permettra de confirmer ou non la flexibilité du système de jeu peaufiné et affiné depuis quelques années. Effectivement, si les joueurs se sentaient constamment tiraillés par les conflits moraux de Lee Everett, Clementine et même Bigby Wolf, seront-ils tout aussi impliqués dans un jeu misant principalement sur une bonne tranche de rire ?
Essayons quelque chose d’un peu différent dans cet article. Parce que la formule Telltale n’évolue pas avec ce nouveau jeu, parce qu’il s’agit donc essentiellement d’un enchaînement de QTE et de dialogues minutés, parsemés de rares, minuscules voire infimes séquences de recherches d’objets, l’appréciation globale passe essentiellement par l’écriture et donc par la résonance de l’histoire auprès du joueur. Dès lors, il semble approprié de bouleverser les habitudes et de donner la parole au “moi, je”, celui qui travestit généralement le moindre texte en billet pris au hasard sur un blog. Cela devrait bien se passer. Enfin, je l’espère.
Borderlands, donc. Je n’ai rien contre Borderlands, mais je n’ai jamais joué à un seul épisode de la série. Il paraît que c’est rigolo, pourtant ni le gameplay, ni la course au loot, ni l’univers ne m’attirent. Donc pourquoi diable m’attaquer à Tales from the Borderlands ? Pour plusieurs raisons en fait. D’abord parce qu’il s’agit d’un jeu Telltale, que généralement j’aime bien ce que fait le studio et que son retour vers la comédie laisse entrevoir de belles choses. Ensuite, parce qu’à la sortie du cinquième et donc dernier épisode de la saison, mon fil Twitter s’est retrouvé inondé de louanges chantées à ce Tales from the Borderlands. De nombreux joueurs n’hésitaient même pas à lui décerner le titre de meilleur Telltale jamais réalisé, rien que ça ! Tout cela a fini par me convaincre de leur donner une petite chance à ces contes venus des terres frontalières.
Le fait de ne pas être familier avec Borderlands avait de quoi m’inquiéter au départ. Cela dit, ne pas connaître plus que cela Walking Dead ni Fables ne m’a pas empêché d’apprécier leurs déclinaisons respectives. J’en suis bien conscient, je suis passé à côté de multiples références au fil des cinq épisodes que compte Tales from the Borderlands. Je sais notamment que plusieurs personnages emblématiques de la série font des apparitions puisque quelques visages m’ont bien paru familiers – probablement de vieux souvenirs de news écrites pour Borderlands 1 et 2 – mais je serai totalement incapable de resituer ces personnages. Tout cela pour dire que ce n’est pas un fanboy qui écrit, mais un joueur lambda venant de mettre les pieds dans la série pour la toute première fois. Autrement dit, je fais office de candidat idéal pour livrer un avis sans idée préconçue et ainsi témoigner des efforts consentis par Telltale pour introduire l’univers Borderlands à tous ceux qui le découvrent.
A ce niveau, le travail est bien fait. On entre assez rapidement dans le vif du sujet en comprenant ce qu’il y a à savoir sur la mythologie qui enveloppe la saga. L’introduction présente succinctement la société Hyperion et sa volonté de piller la planète Pandore de ses ressources. On apprend l’existence de l’arche, une caverne remplie de trésors qui n’apparaît qu’une fois toutes les je-ne-sais-plus-combien de décennies, et dont nos deux héros menteurs et manipulateurs professionnels viennent justement d’obtenir la clé.
L’histoire est contée selon deux points de vue. Celui de Rhys, un membre d’Hyperion prêt à tout pour court-circuiter son patron et lui piquer sa place au sommet de la hiérarchie, et celui de Fiona, une talentueuse escroc ayant un sens inné pour baratiner ses interlocuteurs. Tous les deux se retrouvent malgré eux embarqués dans la même aventure, forcés de faire équipe coûte que coûte pour rester en vie. L’ensemble de la narration s’effectue sous la forme de flashbacks, narrés par l’un ou l’autre des héros, ce qui laisse une immense porte ouverte aux scénaristes, libres de partir dans bien des délires. Rhys et Fiona profitent pleinement du format et ne se privent jamais pour modifier la vérité si cela les arrange. On assiste alors à plusieurs scènes complètement folles, délibérément exagérées, mais généralement brutalement interrompues par l’autre personnage qui tient à rappeler ce qu’il s’est réellement passé. Ce procédé est utilisé à maintes reprises durant la saison complète. Même si l’effet de surprise s’amenuise à chaque utilisation, l’effet comique reste au beau fixe.
L’humour est d’ailleurs le gros point fort de Tales from the Borderlands. Je me suis même surpris à rire de bon cœur au moins une fois par épisode, ce qui prouve que les auteurs de Telltale n’ont rien perdu de leur verve et restent avant tout de vrais boute-en-train. Oui, ils ont su nous arracher quelques larmes pour Walking Dead, mais c’est bien dans le registre léger qu’ils brillent particulièrement. C’est en tout cas ce qu’il ressort de l’aventure Borderlands. Les personnages sont croqués avec talent et, tant que l’histoire reste dans la blague, dégagent tous suffisamment de caractère pour que l’on s’intéresse à eux. En revanche, lorsque l’aventure tente de creuser un peu plus loin, que des thèmes plus délicats sont abordés, la brisure est trop visible et l’émotion a un peu de mal à passer. Principale victime : l’implication du joueur. Là où on se morfondait lorsqu’il fallait choisir entre la vie et la mort d’un autre personnage mordu par un infecté dans Walking Dead, on prend chaque décision avec bien plus de recul dans Borderlands. Puisqu’il s’agit d’un jeu comique, le niveau de tension n’est simplement pas le même. Dans un sens, tout ce qui compte ici, c’est valider la meilleure réplique possible et espérer que les vannes suivantes fassent mouche. Quant aux QTE, il suffit de se concentrer un minimum pour ne pas succomber à un game over, et le tour est joué. Tales from the Borderlands est donc une expérience à la cool que l’on déguste sans trop se poser de questions, en sachant pertinemment que le scénario suivra son cours général quoi qu’il arrive. On commence à en avoir l’habitude, à l’instar des dernières productions Telltale, tout ce que le titre nous autorise finalement à faire est de zigzaguer autour de la trame principale en dirigeant chaque petite scénette tel un metteur en scène indécis qui demanderait à ses acteurs de jouer cette ligne de dialogue sur le ton de la comédie et d’enchaîner la suivante sur un ton beaucoup plus dramatique.
C’est probablement le côté qui continue à me chagriner avec les jeux du studio. Oui, il y a toujours des choix qui trouvent des répercussions plus tard dans l’aventure, mais la cohérence de l’instant n’est jamais totalement respectée. En fait, il y a toujours cette drôle d’impression qu’un dialogue dans un jeu Telltale n’est rien d’autre qu’un sondage déguisé et dont les résultats seront visibles plus tard. Ainsi, on peut tout à fait répondre gentiment à la première question, péter un câble à la seconde, revenir au calme à la troisième, et entre temps, notre interlocuteur enregistre chaque commentaire, réagit sur le moment puis revient à une attitude neutre pour poser la prochaine question. C’était le cas dans Walking Dead et dans Wolf among Us, et ça l’est toujours dans Tales from the Borderlands. Ce détail est toujours un peu étrange sur le coup, mais n’est pas non plus rédhibitoire puisqu’on se laisse finalement prendre au jeu, porté par la qualité de l’écriture, la mise en scène toujours inspirée, la bande-son au poil et l’interprétation sans faute des doubleurs (en anglais uniquement).
La formule de Telltale fonctionne donc, mais sur un registre totalement différent. Je ne me suis pas senti particulièrement impliqué dans l’histoire, mais cela ne m’a pas empêché de l’apprécier jusqu’à la fin en dépit de plusieurs gros moments de mou à mi-saison. Au final, force est de reconnaître que je me suis même plutôt bien marré. S’agit-il donc du meilleur Telltale ? Pas pour moi. Mais encore une fois, c’est probablement parce que je ne suis pas un expert de Borderlands. Le jeu étant propre, bien écrit et surtout ultra référencé, je peux concevoir qu’il trouve une place de choix dans le cœur des fidèles. De mon côté, il m’a permis de passer un bien bon moment. Ce qui n’est déjà pas si mal.
- Développeur : Telltale Games
- Éditeur : Telltale Games / Gearbox / 2K Games
- Genre : Aventure
- Date de sortie : 20 octobre 2015 (pour la saison complète)
- Support : Windows, Mac, PS4, Xbox One, PS3, Xbox 360, iOS, Android
- Site officiel : https://www.telltalegames.com/
- Peut-être parce que je ne l'attendais pas spécialement, peut-être parce que je ne me sentais pas particulièrement visé par un jeu Borderlands, quelle que soit la raison, je me suis finalement retrouvé agréablement surpris par cette nouvelle aventure de Telltale. De son duo de héros aux personnages secondaires qui les accompagnent, en passant évidemment par les vilains, chaque personnage a son petit quelque chose qui le rend intéressant, même aux yeux d'un total profane. Mais ce sont surtout les moments franchement drôles que l'on retiendra de cette joyeuse aventure sur les terres sauvages et inhospitalières de Borderlands.
2 commentaires
marmot84
18 novembre 2015 à 22 h 40 minUn test très agréable à lire et je me languissait d’avoir un avis final sur cette série.
D’un coté j’ai adorée les trois épisodes de Borderlands pour son histoire, son humour, son ambiance musicale, ses graphismes et sa combinaison FPS/RPG très réussit !!
D’un autre coté j’ai adoré les The walking dead et je suis en train d’apprécier The wolf among us (3 épisode sur 5) !!
Alors oui je suis très attiré par ce jeux et aussi par son coté humoristique qui changera de mes autres expériences avec les jeux Telltales avec l’espoir de retrouver l’ambiance des jeux Gearbox.
p.s. pour Jihem: Si tu as apprécié l’ambiance/humour borderlands et si tu n’as rien contre les FPS qui se retrouve rénové avec son aspect RPG, je ne peu que te conseiller de tester la série des Borderlands.
Jihem
20 novembre 2015 à 16 h 13 minComme dit dans le test, il s’agissait de mon premier jeu Borderlands. Donc non, inutile d’avoir joué aux autres pour l’apprécier.