Développeur de talent, le britannique Chris Davis fait partie de ces one man studios pour qui le financement participatif est une nécessité plus qu’une aubaine. Le plébiscite de son second projet, The Escapists, sur Kickstarter puis sur Greenlight, lui aura valu l’intérêt de ses compatriotes de Team 17 et une adaptation sur Xbox One. L’objet de cette belle communion de l’industrie et de la scène indépendante ? Une simulation d’évasion au parfum rétro !
The Escapists prend le contrepied des simulateurs de vie carcérale, qui adoptent généralement le point de vue des geôliers (on pense notamment au Prison Architect de Introversion Software, toujours en phase d’accès anticipé). Ici, on vous invite à incarner un détenu, et peu importe que vous soyez braqueur de banques, meurtrier, prédateur sexuel ou adepte de la fraude fiscale : votre but est invariablement de vous faire la malle, par tous les moyens possibles – et il y en aura beaucoup ! Caractérisé par une absence de guidage et la nécessité de découvrir vous-même les subtilités du gameplay, ce bac-à-sable pénitentiaire vous immerge dans une routine contraignante dont il vous faudra tirer profit afin d’élaborer un plan d’évasion digne de ce nom.
Le jeu propose une représentation en 2D aérienne dans un style 8 bits. Il faut reconnaître qu’on est plus proche d’un rendu RPG Maker que du travail artistique qu’a coutume de nous offrir la scène indépendante, mais la réalisation a le mérite d’être claire, fluide et parfaitement adaptée au propos. The Escapists prend le parti de vous faire vivre des journées toutes similaires durant lesquelles se succèdent l’appel du matin, les différents repas, une ou deux périodes de travail, un peu de temps libre, l’incontournable séance de sport, suivie du passage à la douche avec ramassage du savon en option. Bref, un planning bien rempli jusqu’à l’extinction des feux. Au cours de chacune de ces phases, rythmées par une sonnerie stridente (bien plus efficace qu’un coup de matraque), votre marge de manœuvre est extrêmement restreinte, puisqu’il vous faut accompagner le groupe de prisonniers dans tous ses déplacements, sous la surveillance des matons. Si vous vous éloignez, votre absence aura pour effet de titiller leur jauge de suspicion, ce qui pourrait se terminer en cellule d’isolement. Il y a trois autres indicateurs à l’écran : votre niveau de santé, que vous pouvez améliorer en pratiquant des activités physiques, votre degré de fatigue et enfin l’argent que vous gagnez en travaillant aux différents postes de service de la prison (blanchisseur, jardinier, bibliothécaire, etc.).
Ce dernier peut aussi être accumulé en accomplissant les différentes tâches confiées par vos codétenus : tabasser quelqu’un qu’ils ont dans le pif, récupérer l’objet qu’ils convoitent, ou encore détourner l’attention des gardiens au réfectoire pour leur permettre de chiper le dessert du voisin. Dès que vous en avez les moyens, vous pouvez acheter les objets de contrebande qu’ils vous proposent, essentiels pour préparer votre évasion. S’attirer les faveurs d’un prisonnier, c’est aussi éviter qu’il ne vous cherche des poux ou qu’il ne vous dénonce, ou encore se ménager la possibilité d’en faire un sidekick avec lequel vous pourrez aller assommer un garde un peu costaud. Ceci dit, il faut bien admettre que la gestion quelque peu artificielle des jauges de confiance n’est pas la partie la plus grisante du gameplay, et que vos compagnons de cellule ne se départiront jamais de leur statut peu enviable de faire-valoir (ils agissent de manière chaotique, ne tentent jamais de s’évader). C’est d’autant plus dommage qu’en passant leurs journées à se quereller et à lancer à la volée des remarques acerbes et souvent très référencées, vos compagnons de cellule, que vous pouvez renommer selon votre bon vouloir, confèrent au jeu son côté vivant, drôle et décalé.
Le vrai plaisir délivré par The Escapists vient surtout de la mise au point méticuleuse de votre plan d’évasion. L’enceinte de la prison est protégée par un grillage électrifié ? Il faudra d’abord trouver le moyen de fabriquer des pinces, via un système de craft simple, intuitif et complet, requérant un peu d’expérimentation (à moins d’avoir l’opportunité de se procurer le schéma voulu). Il faudra également couper l’alimentation du générateur, auquel on ne peut accéder qu’avec une clé de service. Dès lors, que faire ? Chaparder le sésame dans la poche d’un gardien afin d’en mouler une copie ? Emprunter les conduits de ventilation pour se glisser jusque dans la salle ? Bricoler une pioche de fortune pour casser le mur d’une salle adjacente ? Ou bien encore creuser un tunnel depuis votre cellule, en prenant soin de le dissimuler suffisamment lors des inspections ? L’étendue du champ des possibilités est appréciable. La mise en application de votre plan prend toutefois des allures de die & retry, car vous réussirez rarement à vous évader du premier coup, et devrez vous y reprendre à plusieurs reprises. A chaque fois que l’on vous prend la main dans le sac, vous perdez tout le bénéfice de votre progression : vos objets de contrebande sont confisqués, vos tunnels rebouchés, vos grilles d’aération revissées. Du coup, à moins de vouloir recommencer à zéro, vous serez tenté de cliquer sur l’option « recharger la partie depuis le dernier réveil ».
On touche alors du doigt le plus gros écueil du jeu, qui ne réside pas dans sa routine – finalement amusante à contourner – mais dans sa dimension aléatoire prépondérante. Serez-vous la prochaine victime de la fouille quotidienne des matons ? Là où vous aviez trouvé un tournevis dans ce coffre, peut-être contiendra-t-il un pied-de-biche après rechargement de votre partie ? Et que vous proposera désormais le prisonnier qui vous vendait la corde sur laquelle vous misiez ? D’autre part, si la nuit est le moment idéal pour quitter votre cellule et fureter dans la prison, les déplacements chaotiques des gardiens, qui ne suivent aucune ronde prédéfinie, vous empêchent de planifier quelque trajet que ce soit : il n’y a rien de plus frustrant que de tomber nez-à-nez avec un garde qui se trouvait 200 mètres plus loin au dernier loading. On se retrouve donc trop souvent à miser sur la chance, à échouer devant des situations que l’on n’avait pu prédire, et à recharger la partie. Cet aspect aléatoire rend le titre à la fois plus fastidieux, plus répétitif et plus frustrant qu’il ne l’est à la base. Chaque évasion réussie vous procure inévitablement un double sentiment de soulagement et d’accomplissement, mais l’expérience n’est sans doute pas aussi gratifiante qu’elle aurait pu l’être.
The Escapists vous tiendra en tout cas occupé un bon moment. Venir à bout des six prisons de base représente déjà un défi suffisamment relevé : de l’établissement familial et verdoyant, avec cellule individuelle et TV à l’appui, jusqu’au centre pénitentiaire blindé de gardiens, de caméras de surveillance et de portiques de détection, avec dortoirs communs et co-détenus prêts à vous faire la peau, la courbe de progression est parfaitement étudiée. Pour ne rien gâcher, le jeu a été agrémenté dans sa version PC d’un éditeur de niveaux (qui figurait parmi les objectifs Kickstarter), dont s’est emparé goulûment une communauté déjà bien active dans le domaine.
- Développeur : Mouldy Toof Studios
- Editeur : Team 17
- Genre : Simulation
- Date de sortie : 13 février 2015
- Supports : PC, Xbox One
- Sous ses airs de simulation légère et décalée, The Escapists reprend à son compte la dialectique liberté/contrainte inhérente à la créativité. En l'occurrence, il s'agit de contourner, de détourner, voire de tourner à son avantage l'assommante routine quotidienne d'une prison afin d'élaborer le plan d'évasion parfait. Dommage que son caractère aléatoire trop prononcé rende parfois l'expérience plus fastidieuse que stratégique, et plus frustrante que gratifiante.
2 commentaires
Openyourmind
25 septembre 2015 à 23 h 45 minTest complet qui va à l’essentiel de manière claire et directe. Pour un jeu de ce genre, je ne pourrais pas en demander plus.
Merci pour votre travail!
MoNazou
28 septembre 2015 à 22 h 21 minUn super test, merci.
Je rajouterais qu’une certaines routine s’installe mais qui permet de mener à bout son plan. Au fur et à mesure, on comprend quelques astuces, on gagne du temps, et le faire de savoir notre emploi du temps, permet de prévoir le plan d’évasion plus facilement. Après avoir bien roder le jeu, nous avançons plus facilement (sans quelques pièges ahah!) et nous avons un réel sentiment quand nous finissons une prison.
Après, j’ai remarqué que le plan final, après des essais infructueux (qui nous forme, comme tout die and retry) se fait vite, tout doit être pensé et fait rapidement, comparer à une longue phase de recherche. Quelques heures de jeu pour quelques minutes voir secondes rendu final.
Très plaisant en tout cas!